Description scientifique
Comment les « crises environnementales » – qu’elles soient appréhendées localement ou envisagées comme un phénomène global – amènent des « communautés » à se former ou à se recomposer localement, donnant lieu à des innovations sociales, techniques et organisationnelles ? Telle est la question qui anime l’équipe de recherche que nous avons constitué en vue de répondre à l’appel d’offre de l’ISH et de préparer un projet ANR.
Nous ne traiterons ni des crises environnementales pour elles-mêmes ni de leurs effets (Chateaureynaud et Torny 1999). Nous ne nous intéresserons pas plus à l’étude des collectifs qui ont été porteurs de la reconnaissance de ces problèmes au niveau de l’espace public tant sur le plan institutionnel (Charvolin, 2003, Dumoulin, 2005, Martínez-Iglesias, 2012) que sur les espaces locaux ou transnationaux (Maurines 2008, 2012). Notre intérêt porte sur : Comment ces crises entraînent la recomposition de communautés et les poussent à innover ? Ces situations de crises ou de post-crises environnementales liées à des contextes de globalisation économiques et politiques font suite à des destructions environnementales importantes : accidents industriels à répétition suivis de la catastrophe nucléaire de Fukushima au Japon, agriculture « productiviste » avec les « crises » sanitaires qui lui sont associées en France et l’aquaculture intensive portée par des multinationales au Chili et au Brésil. De façon différente suivant les contextes, elles tendent à déstabiliser fortement les pratiques, les ordres et amènent à des recompositions. Elles sont ainsi en lien avec une prise de conscience collective d’une nécessité de « faire autrement » provenant à la fois de communautés locales, des politiques publiques nationales ou transnationales (France, USA) ou encore des ONG. Il s’agit alors de saisir les manières dont les communautés localisées s’adaptent à ces crises, ou émergent en réaction à celles-ci, inventent de nouveaux processus d’action qui entraînent des recompositions de scènes locales, des formes d’innovations tout à la fois techniques, organisationnelles et sociales.
Ces « communautés » se réorganisent selon des modèles issus du tiers secteur et de l’économie sociale et/ou solidaire autour de projets portés par des communautés d’action (Dewey, 1967). Ces mutations locales réinterrogent le lien entre l’économique et le social (Polanyi, 1983) mais aussi la nature (Cronon, 1991). S’ils ont été fortement dissociés, on observe la recherche de formes de réencastrement structurel, institutionnel et culturel (Le Velly, 2002). Pour certains chercheurs, on assiste à un ré-enchantement du lien social (Mafessoli, Godbout, Caillé, 2000, Atlas des utopies, 2012). Pour nous, la recherche vise plutôt à comprendre par quels processus sont rendus possibles d’autres formes de « vivre ensemble », de créer ou de « faire communauté ». Les formes de ces
communautés restent à définir, il peut s’agir de proximité ethnique, d’intérêt professionnel, idéologique, utopique ou social, etc. La recherche croise la question des communautés avec celle des modèles de l’exercice d’activités alternatives au travail salarié, envisagé comme séparé de la sphère domestique. Elle s’interroge sur le développement de formes socio-économiques de services à la collectivité qui sont inscrites dans des dispositifs encourageant le vivre ensemble à une échelle locale articulée avec un rayonnement international (de la participation bénévole, à l’exercice professionnel en passant par des logiques d’économie souterraine). Dans cette perspective, le cadre de l’économie sociale et/ou solidaire (Dacheux, Goujon, 2011 ; Flahault, 2011) semble un cadre analytique probant pour explorer ces initiatives dans les différentes sociétés étudiées. En effet, les critères de libre adhésion, de lucrativité limitée, d’utilité sociale du projet, de gestion démocratique et participative – pas seulement sous la forme d’injonction institutionnelle (Zask, 2011) – sont des références clefs dans ces nouvelles initiatives sociales, que cela soit dans les pays du Sud ou dans les pays occidentaux (Gaiger, 2007). Si pour Laville (2007), l’économie solidaire renforce les liens sociaux, appuie le développement économique des territoires et constitue un facteur de cohésion sociale, cela ne nous dit rien de la manière dont cela se traduit concrètement sur des sociétés traversées par des crises.
Il ne s’agit pas tant d’interroger le travail et ses particularités en lien avec la mondialisation (précarité, paupérisation, etc.), que de saisir les formes innovantes que ces communautés créent. Leur compréhension s’inscrit dans « des logiques diverses, ces logiques locales qui se mettent en place en rapport avec les logiques globales de plus en plus envahissantes » (Kilani, 2012 : 263). Ces logiques sont fondatrices de nouveaux espaces de travail basés sur des innovations sociales, techniques ou organisationnelles (Bessiere, Tibere, 2011). Elles s’inscrivent dans différents types d’espaces qu’ils soient urbains et transnationaux comme dans le cas des hackerspace (Lallement, 2012), les éco-lieux (Béal, Charvolin, 2011) ou locaux et ruraux et s’appuient sur des savoirs locaux
traditionnels (UNESCO) basés entre autres sur l’échange social. Pour d’autres, ces initiatives se sont développées de façon plus ancienne en réponse à des crises structurelles et récurrentes (Japon, USA). Ces espaces, en tension, sont à la fois locaux et globaux (Sassen, 2009), se construisent du local au global et du global au local (Demoustier, 2007, Maurines, 2012), sont multi-situés (Marcus 1995 ; Appadurai, 2005) ; ils sont traversés par des normes sociales occidentales (Atlani, 2005 ; Hours, 2003), et par des savoirs circulatoires innovants provenant du nord comme du sud.